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Archives Mensuelles: février 2021

Pauline de La Boulaye, Bruxelles, janvier-février 2021

texte écrit à la demande de Permanent Brussels à la suite d’un workshop via Zoom le 28 janvier 2021

Depuis un an, avec la pandémie, nos corps sont devenus potentiellement dangereux, porteurs d’un virus lutin et mutant qui défie les sciences, les institutions et tout ce que nous aurions pu croire solide. Ce corps à l’intérieur duquel on bouge, on vibre, on se déplace, on aime, on vit, il faut le mettre sous cloche, le masquer, l’aseptiser, le contrôler, le soigner, le sauver. Lors du premier confinement strict et mondial, nous avons cantonné nos corps entre des murs, dans l’état où ils se trouvaient : appartements, colocations, maisons, logements groupés, pensions de retraités, habitats légers, hors-les-murs pour les sans abris… À l’été, ce fut un semblant de retour à la normale, une sorte de liberté conditionnelle. Au milieu de l’automne, un deuxième confinement, moins strict, moins long, a tenté de casser une courbe pandémique trop raide. Et cet hiver ressemble à une peine longue durée dont les conditions varient en fonction des courbes de l’épidémie : hautes = conditions renforcées, basses = conditions allégées.

Le monde semble tenir en équilibre, sur le point de basculer. Le temps est suspendu entre passé et futur. Le risque, c’est de s’habituer à cette fausse normalité. Nos enfants sont retournés à l’école pour développer leurs cerveaux, mais leurs corps sont niés. Les étudiants suivent des cours immatériels, à travers des ordinateurs. Les personnes vulnérables, âgées ou malades sont enfermées à double tour, chez elles ou dans des hôpitaux. On dit à peine au revoir aux morts qui hantent les médias, mais pas les rues. Certains adultes peuvent aller au travail parce qu’il faut des corps actifs : personnel soignant, aides à la personne, secteur du bâtiment, ramassage des poubelles, fabrication de trucs à consommer. Leurs corps « productifs1 » sont nécessaires au fonctionnement de la ville et de la consommation. D’autres adultes restent chez eux, devant des ordinateurs : on a juste besoin de leurs cerveaux (éventuellement leurs bustes). Ce travail à distance n’est possible que parce que d’autres utilisent leurs corps pour soigner, protéger et entretenir les architectures (cellulaires2) de la liberté individuelle, qui sont devenues celles de l’enfermement. Ironie du sort : le système immunitaire d’un corps actif (vivant) est souvent plus fort que celui d’un corps immobile (statue).

1 Michel Foucault, Surveiller et punir, éditions Gallimard 1975

2 Michel Foucault, Surveiller et punir, éditions Gallimard 1975

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